La vie d'Esther s'engage plutôt bien. Elle doit bientôt s'installer avec son
petit ami, Vincent, et elle travaille d'arrache-pied pour décrocher un
poste dans l'institut de sondage où elle effectue déjá des missions
temporaires, avec succès.
Tout s'annoncerait au mieux si Esther ne se découvrait pas, fortuitement,
une curiosité lancinante pour son propre corps ...

Lors d'une soirée, esther vogue parmi les invités, attentive, sans plus, au
propos d'une amie qui lui vante les pouvoirs professionnelles de l'hôte.
nous percevons son absence à cette fête, son petit ennui .Elle sort dans
le jardin et se blesse parmi des bouts de ferrailles, blessure révélée
plus tard par les taches de sang sur le sol de la salle de bain. A sa
premiére réaction d'effroi succéde l'indifférence puis la fascination.

La déchirure de cette jambe marquera un changement de perception,
une invitation à soi, "un travail" sur soi. Au hasard de cette empreinte
succédera une initiation ordonnancée mais pas commandée , d'ailleurs
esther ne propose pas d'explications à son entourage.
Elle sent monter l'angoisse ,souvent au travail, et le soulagement
,l'apaisement viendra de son isolement puis du taillage de son corps ,
une manière de se recentrer sur elle même sans toutefois tomber dans
un solipsisme destructeur.
Il se crée un rééquilibrage corps-esprit, une interdépendance vécue.
Naîvement les premiers temps, elle n'hésite pas à l'annoncer à son amie
"je me suis tailladée" ou à se dévoiler tel qu'elle à son compagnon
.Cette mise en confidence ne suscite pas le rejet mais elle crée une
incompréhension. Une distance se dessine, une solitude lancinante
s'installe, jusqu'à ce qu'elle devienne mensonge. Dans son avancée
avec elle même, elle perd aussi les autres.
Ce corps inconnu, dont on ne prête pas forcement attention, se voit en
quête de réappropriation. Il passe par le dynamitage des contraintes
conventionnelles dictés par l'esthétisme conformiste et marchand.
Esther ne se formate pas dans un modéle de chirurgie "esthétique",
abandon de partie de soi mais s'applique à une reconnaissance de soi,
essayant de faire "vivre" ses lambeaux au delà d'elle même. Ce geste
de réappropriation identitaire ne se programme pas , il agit comme un
acte primaire, un élan des sens,une force instinctive vitale similaire à la
pulsion sexuelle. Le toucher primordial dans ses mutilations, puis les
caresses, sa facon de sucer sa peau, de la retourner exacerbent les
sensations , donnent un sens à la douleur, et se confond avec le plaisir.
Elle s'imbibe de son propre flux vital ,son sang, renait comme le bébé
sortant du ventre de sa mére.
Cette dimension physique tranche constament avec le quotidien
d'esther plutôt guidé par la recherche intellectuelle dans son travail.
Cette obscession personnelle se vit à l'inverse de l'acceptation implicite
de "se vendre" dans son travail, posté dans une attitude séductrice, ou
le corps s'efface derriére la panoplie.

On constate un pont entre le film de MARINA DE VAN et celui de
CLAIRE DENIS "trouble every day" dans la maniére de poser le corps,
de l'écarteler, aussi de le magnifier dans ce qu'il a de caché au plus
profond. Cette fois ce n'est pas j'ai l'autre "dans la peau" mais j'ai moi
même "dans la peau", des retrouvailles avec sa propre chair.
Au début du film, la mise en scéne apparait en deçà du caractére
original du film mais au fil de l'emprise d'Esther sur son corps et de
l'amplitude des mutilations, elle prend une autre dimension. La
perception des sens d'Esther enfle comme les sons des couverts dans
le restaurant ou la déformation de sa vision. Cette vision montrée à
l'écran par les 2 images coupées en deux et décalées dans l'action
laissera place à une vision plus posée à la fin, un cadrage semblable à
un tableau, cadrage se répétant sur le corps immobile d'esther .

L'actrice habite son film comme son propre corps, pleinement.
L'alchimie semble si efficace que ce dédoublement réalisatrice-actrice
parait évident...un certain aboutissement d'elle même paralléle à celui
d'esther .
On peut choisir le refus, lutter contre Esther mais se laisser aller avec,
ouvre davantage de perspectives. Ce premier long métrage donne envie
de découvrir les précédents courts de MARINA tant l'originalité du sujet
et sa mise en lumière séduisent.
patrick (6/12/2)