L ' ILE










de Kim Ki-duk (2000).corée
avec Suh Jung, Kim Yoo-seok, Park Sung-hee, ...
LA BEAUTÉ DU MYSTÈRE


Avant d'accoster cette ÎLE, laissez au port vos préjugés et votre éventuelle morale, ils vont y prendre un coup. Ce film
coréen ne ressemble à rien de connu, même dans le cinéma asiatique. La première vision est une pure hallucination.
Sur un lac paradisiaque apparaissent, sous un voile de brume, des maisonnettes colorées posées sur l'eau. Puis on va
de sidération en sidération : qui est cette " gardienne " du lieu, femme fantomatique et fantasmée ? Est-elle née là en
sauvageonne, ou a-t-elle fui la ville ? Et pourquoi ne parle-t-elle pas, pourquoi tant de violence rentrée, déchargée sur
des poissons, bientôt sur les hommes du lagon ? De même pour ce faux pêcheur et vrai " pécheur " : que fuit-il
exactement, pourquoi a-t-il échoué ici et pas ailleurs ? Et s'il était venu là parce qu'il savait que la femme ne le
donnerait pas ? Et si tous deux partageaient un secret commun ?

Le mystère permanent de L'ÎLE n'est pas un trompe-l'œil stylistique pour masquer un vide d'inspiration. Ce film est
une œuvre sur les mystères : celui qui pousse les hommes et les femmes à s'attirer, ou celui qui nous rend si proches
des animaux par moments. Le mystère de la beauté, aussi. Car pourquoi ce film est-il si beau ? Pas seulement parce
que l'actrice est fascinante de sensualité, le décor époustouflant et l'image, tantôt réaliste tantôt poétique, toujours
surprenante. C'est parce que, comme dans IN THE MOOD FOR LOVE, du presque rien, du manque de preuves d'un
quelconque acte, naissent les plus belles suppositions. L'ÎLE partage aussi avec le film de Wong Kar-waï un sens du
rythme particulièrement élaboré, ici une alternance de slows intimistes, symphonie passionnée et pizzicati de
violence. Le film envoûte enfin parce qu'il parle d'une voix entêtante à notre inconscient .

L'ÎLE du titre, absente en réalité, est omniprésente dans le monde des fantasmes et des symboles. Elle veut dire terre
matricielle, " origine du monde ", point de départ vers d'autres imaginaires. Le film est une famille de genres. Il est
ainsi parfois très drôle dans son parallèle entre la pêche et la sexualité. Puis la métaphore des poissons martyrisés
pour faire des sushis glisse vers des métaphores sexuelles extrêmement violentes . C'est un modèle d'épure
dramatique, culminant en un cri, le seul son que l'on entendra de la bouche de la femme. L'ÎLE s'apaise puis termine
dans le romantisme le plus fou.
Avant, les personnages n'étaient que des enfants : l'homme jouait à la pêche dans sa cabane, la femme faisait de la
balançoire. Mais pour créer un couple, il faut passer à des jeux d'adultes, des jeux qui font basculer dans la violence
surgie de notre inconscient.
Le réalisateur Kim Ki-duk a créé un univers entier ou tout est possible. Il y a encore trop peu de personnes à le
savoir, mais cela va se répandre comme une traînée de poudre : son ÎLE est un chef-d'œuvre.

YANN