Archétype de la comédie douce-amère à la française, très bien
écrite et interprétée, « Le rôle de sa vie » mérite mieux que
l’indifférence polie, à la limite du condescendent, qui entoure sa
sortie. Il est probable que la présence d’Agnès Jaoui, symbole de
ce cinéma feutré et consensuel, rattache le premier film de François
Favrat à un genre désormais bien établi : la comédie d’auteur
sentimentale parisienne, héritière du classicisme de Claude Sautet. Il
n’est certes pas complètement absurde de pointer l’absence de
risques de ce genre de projet, sa dimension bourgeoise, voire bobo
et ses limites formelles mais ce film s’avère malgré tout, très bien
senti et au final plutôt touchant.

La star, la fan et le pépiniériste .

Soit une pigiste du magazine Elle, intello timide se rêvant écrivain,
qui rencontre par hasard une star de cinéma, gagne sa confiance et
devient son assistante. Bien sûr, la vedette si entourée est avant tout
une femme seule, astre rayonnant mais solitaire. La relation entre les
deux femmes, faite de non-dits et d’équivoque, devient plus
complexe que prévu quand elles tombent amoureuses toutes les
deux d’un pépiniériste marginal et lunaire. Celui-ci devient le
révélateur de leurs différences et de leurs frustrations, dans une
sorte de triangle sentimental inattendu. Le film se clôt alors sur un
vrai faux happy end, à la fois réaliste et ouvert. Les personnages ne
pouvaient plus se mentir très longtemps, aux autres et surtout à
eux-mêmes. Chacun s’émancipera et s’accomplira individuellement
en rejoignant son destin.

Bien vu

Comme déjà dit, le film n'est pas sans qualités. Sa principale
réside sans doute dans un sens aiguisé de l’observation des
caractères et des relations humaines. Sur une trame qui peut
rappeler de loin le mythique « All about Eve » de Mankiewicz, ce
monde cruel du spectacle est plutôt bien évoqué. On y retrouve
stars et courtisans dans une ronde narcissique et éphémère de la
gloire. Ce jeu de miroir et de duplicité constitue un motif
humoristique inépuisable, qui donne au film son rythme et sa
subtilité. En jouant habilement sur les pleins et les déliés, sur les
contrastes entre les personnages et en alternant les tons de
narration, « Le rôle de sa vie » ne connaît pas de temps morts mais
au contraire surprend très agréablement par sa fluidité. Le film n’est
jamais besogneux, à la recherche poussive du gag suivant ou du
mot d’auteur salvateur. Il est sans mépris pour ses personnages,
même ceux qui pouvaient le plus prêter le flanc à la caricature.
Aucune humiliation de la part du réalisateur, pour se mettre
facilement les spectateurs dans la poche. Les remarquables
compositions de Jonathan Zaccaï et surtout de Karin Viard,
permettent au film de bien restituer le sentiment éprouvé face à un
être solaire et charismatique, qui peut alors devenir le centre de
l’univers pour certains, rongés par le doute. On perçoit bien la
relation de dépendance (jusqu’à l’addiction) pour les membres de
cette cour et la difficulté à se passer de ce fragment de notoriété et
de reconnaissance par procuration. Comment alors se construire
soi-même ? Tel est l’enjeu finalement de ce film, modeste et drôle
quête initiatique, que l’on conseillera sans trop de réserve.
samuel@chroniscope.com (auteur-21/6/04)