C’est devenu un cliché de l’Histoire du Cinéma. Alfred Hitchcock, un
des plus grands génies artistiques du siècle, aurait vécu une fin de
carrière désastreuse, indigne de sa fabuleuse filmographie. On ne
tentera pas ici de réhabiliter ses derniers opus, sans aucun doute
inférieurs à ses chefs d’œuvre des années 40, 50 et 60 mais on se
limitera à conseiller vivement « Frenzy », son avant-dernier film, sorti
en 1972 et qui marqua son retour en Angleterre. Ce film, comme la
plupart de ceux de Sir Alfred, est disponible en DVD et ravira les
amateurs de ses œuvres plus connues. Hitchcock reprend la main On
a pu craindre le pire après la sortie de « L’étau » en 1969, indigeste
coproduction internationale. Dans cette sorte de sous James Bond
pathétique, on peine à reconnaître la patte de Hitchcock tant la mise
en scène semble anonyme et plate. Le film se vautre dans divers
clichés géographiques et politiques, entre l’Europe, Cuba et les Etats-
Unis pour aboutir à une banale série B d’espionnage au message
réactionnaire. Pour son film suivant, Hitchcock prit le contre-pied de
« L’étau » et retrouva, en plus de son pays natal, ses thèmes de
prédilection. Autant « L’étau » semblait empesé dans les contraintes
d’un tournage international à grand spectacle, autant « Frenzy »
permet au Maître de resserrer son propos dans une intrigue minimale
et efficace, au rythme beaucoup plus dynamique. Le scénario est
hitchcockien en diable et reprend son thème éternel de l’homme
ordinaire pourchassé à tort, devant prouver son innocence, seul
contre tous. Soit ici, un ancien pilote de la RAF, accusé d’une série
de meurtres sadiques dont celui de son ancienne femme et de sa
petite amie. Tout l’accuse bien sûr mais tout finira par s’arranger.

Obsessions hitchcockiennes

Le film est clairement un hommage au Londres criminel et
fantasmatique, qui a nourri une grande part de la littérature policière
classique. L’allusion à Jack l’Eventreur est énoncée explicitement
ainsi que la fascination exercée par cette imagerie sur les touristes du
monde entier. Il est émouvant de voir un Hitchcock vieillissant revenir
sur les mythes formateurs de sa jeunesse anglaise. Il revient sur son
territoire, après avoir si bien pris possession de l’espace américain
pendant 30 ans, pour le tordre à son propre imaginaire. Mais loin
d’être un simple pastiche ou une redite de sa grande œuvre, « Frenzy
» constitue un prolongement quasi maladif des obsessions
hitchcockiennes. Le film frappe par sa grande trivialité qui confine à la
crudité. La légendaire perversité de Hitchcock, toujours sous-jacente
mais rarement exposée directement, explose dans des scènes de viol
et de nudité. Les corps sont montrés sans fard, ce qui vaudra
d’ailleurs au film de subir les foudres de la censure. Les acteurs, au
physique plutôt commun, représentent le contraire des sublimes
personnages inaccessibles, qui ont peuplé les grands classiques
hitchcockiens. Pas de Grace Kelly, de Cary Grant, de Kim Novak, de
James Stewart, de Tippi Hedren ou de Ingrid Bergman ici mais plutôt
des comédiens à l’apparence très ordinaire. Après avoir façonné et
détourné ces grandes stars hollywoodiennes pour les faire rentrer
dans la mémoire collective, Hitchcock nous plonge très cruellement
dans la médiocrité du petit peuple londonien et dans les fantasmes
pitoyables d’un détraqué sexuel. On ne peut s’empêcher d’imaginer
la jubilation du Maître à tourner les scènes très réalistes d’agressions
et de meurtres commis sur les femmes victimes du tueur.

On recommande donc vivement « Frenzy » à tous ceux qui sont
marqués par les obsessions de Hitchcock. Elles sont ici mises à nu,
sans artifice romanesque. Comme souvent dans ses films, l’humour
n’est pas absent et constitue ici un précieux contre point, qui aère
utilement le récit. On appréciera notamment les scènes de la vie du
couple, constitué par le policier chargé de l’enquête et son cordon
bleu de femme. L’esthétique générale elle, change radicalement des
films antérieurs de Hitchcock et fait parfois penser à celle de séries
policières des années 70. Bref, si Hitchcock avait déjà amorcé sa
descente, « Frenzy » mérite de l’attention et permet d’appréhender sa
fin de carrière sous un nouveau jour.
samuel@chroniscope.com (11/06/2004-auteur)

FRENZY
de Alfred Hitchcock
(1972)
avec Jon Finch, Barry Foster,
Barbara Leigh-Hunt, Anna
Massey
, Alec McCowen, ...